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étapes magazine 215
INTERVIEW of Erik Adigard/M-A-D by Isabelle Moisy, 2013

FRANÇAIS - ENGLISH

En quoi consiste aujourd'hui ta pratique du graphisme/ design graphique ? Dès sa genèse avec Patricia McShane, M-A-D a été inspirés et influencés par l’emergence du digital, mais toujours avec une approche critique qui nous permettait un travail á la fois créatif et stratégique. Nous sommes positionnés á l’intersection tumultueuse des technologies, économies et cultures émergentes. Le modus operandi est d’anticiper, participer et se reinventer, ce qui rend le m?tier á la fois passionnant et difficile. Quelque soit le medium, je dirais que notre role est de renforcer les entreprises de nos clients par le design.

Où est basé ton studio ? Où travailles tu le plus souvent ? Chez toi ? Au studio? Es tu souvent en déplacement ? 
M-A-D fait le tour de la Bay; d’abord San Francisco, puis Sausalito, et maintenant Berkeley dans un espace á la fois très physique et expérimental. Ces dernières années j'étais souvent á New York et en Europe. Partout oú je suis je travaille en télécommuting mais je préfère travailler en "agile" quand c’est possible.

Tu es français mais habitant à l'étranger, tu as un certain recul sur la situation professionnelle du graphisme français ? 
J'aurais voulu pratiquer en France mais les mentalités étaient et restent trop fermées. Comme Pierre Bernard le dit avec raison l’industrie publicitaire empêtre jeunes et vieux dans une culture passéiste qui sous estime le design. J’y ajouterai l'impact des “grandes écoles” qui produisent ces dirigeants ignorants et arrogants—nos pires clients.

Paradoxalement, la France d’après Grapus continue de compter certains des talents les plus innovants et sophistiqués au monde.

Et sur l'évolution de la pratique, des supports et des champs dans lequel le design graphique s'inscrit. Peux tu nous donner ta vision de comment tu voies les choses évoluer ? 
Une série d'évènements tectoniques a profondément marqué le graphisme: d’abord une enorme vague de libéralisme avec l’arrivée du Mac et des logiciels de création, et puis une démocratisation populiste qui ressemble á un coup de grace pour la profession. Mais le “marché”, lui a bénéficié de l’automation, d’une surenchère de talents et du crowd sourcing.

Nous traversons une période de polarisation entre la création humaine-qualitative-poétique et la création mécanique-quantitative-commerciale. Il y a un véritable conflit d'intérêts entre la florissante économie du digital et l'effritement de la culture humaniste.

En fin d'analyse, c’est un conflit entre tous les designers, qu'ils soient archis où graphistes et leurs outils Apple, Adobe, Autodesk et autres, qui sont en train de devenir nos concurrents et prédateurs de demain.

Il est clair qu’aujourd’hui le design est un facteur fondamental pour la survie des sociétés. Mais quel design? Quand, ou et comment? Le graphisme nous aide á voir, á penser et á s’adapter mais les acteurs et contingences sont trop souvent conflictuels. Le graphisme c’est typographie et imagerie, mais aussi interface, ergonomie, data mining, stratégie, analytics et user testing. Il faut se battre pour changer les règles de notre vocation, ou bien savoir choisir et maitriser son talent et sa culture. Et puis il faut trouver des clients partenaires ou si besoin est, devenir ces clients: devenir entrepreneurs-designers. Que ce soit aux U.S. ou en Francel nous faut promouvoir une économie du design, de la création et de l’innovation comme l’a fait l’Angleterre et le Canada. C’est un investissement bénéfique pour tous et non seulement pour les designers.